Duel entre Camélia et Eberen (la légende légendaire)

L'envol

- Il était une fois, en un lieu si loin d'ici qu'on se demande s'il existe encore, une petite fille qui vivait avec son grand-père. Ils habitaient une petite maison de pierres, trônant sur une vaste plaine dorée par le soleil et bordée à l'est par des arbres imposants. Pour notre petite Camélia, cette journée de juillet s’annonçait morne et triste. Depuis près de deux ans déjà qu'elle vivait avec son grand-père, et jamais il n'avait pu passé une journée complète avec elle. Il travaillait fort comme bûcheron tous les jours, hiver comme été, pour ramener du bois pour le foyer et des sous quand il avait la chance d'en vendre à quelques commerçants. Donc, étant seule toute ces journées, Camélia s'ennuyait. Elle avait passé l'âge de jouer avec les fleurs, des journées durant.

- Son grand-père, qu’elle adorait malgré tout, devait se lever dès que les premiers rayons du soleil perçaient les rideaux de son sommeil. Il s'habillait chaudement pour faire face à une fraîche matinée. Il prenait une énorme hache très affûtée à une main et la reposait sur son épaule, tandis que l'autre s'occupait de tirer un petit chariot. Leur dernier bœuf avait rendu l'âme l'hiver dernier. Tout prêt, son Papi rejoignait le soleil sur un petit chemin gravelé et marchait une heure durant. Il devait rejoindre le seul endroit de son domaine où l'on pouvait retrouver le meilleur bois tout usage. De gigantesques chênes. À chaque fois qu'il partait, il réveillait la petite Camélia si elle ne l'était pas déjà, et la mettait en garde:
- — « Ma petite, ma toute petite, je dois te mettre en garde. Ne me suis jamais en dehors de l'enceinte de la maison. Il pourrait arriver n'importe quoi. Et si jamais tu vois un corbeau, Le Corbeau, un oiseau d'ébène qui croasse la malchance… Si jamais tu le vois, tu dois hurler de toutes tes forces en courant le plus vite possible vers la maison… Tu m’as compris ? »

- Elle avait compris. Et elle avait toujours respecté les paroles de son Papi. Mais cela devait faire deux ans que son grand-père la mettait en garde contre Le Corbeau, et elle ne l'avait jamais vu. Ni même entendu.

- Un bon matin où elle se leva bien après que son grand-père l'ai réveiller pour son avertissement quotidien, elle constata qu'il avait oublié son couteau pour sectionner les petites branches. Elle le prit donc, et le fourra dans la poche de sa robe. Elle enfila ses bottes de pluie pour ensuite sortir prendre l'air. Camélia avait eue l’idée irrationnelle de rejoindre son grand-père à l’orée des chênes, reléguant tous les conseils de son Papi au fond de son esprit. Elle devait se dire inconsciemment que ce dernier la protègerait quoiqu’il arrive.

- Le trajet, pourtant long, semblait rapide à la petite. Elle qui gambadait, le sourire jusqu’aux oreilles. Elle était tellement heureuse d'aider son grand-père qu’elle aimait tant. Lorsque les arbres furent suffisamment proches pour qu'elle puisse sentir la bonne odeur de chaque sylvestre et admirer la texture de l’écorce de leur tronc, Camélia entendit le croassement. Son sourire d’enfant, son sourire naïf d’enfant se fondit en une grimace horrifiée. « Papi! » cria-t-elle. Oubliant les instructions, elle se précipita dans la forêt. Tout en écartant les branches, elle finit par distinguer son grand-père en position assise les jambes droites, tremblant comme une feuille, le visage crispé. Il semblait fournir un grand effort mental.
- — « Papi ! Papi! Oh non Papi ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Papi, répond-moi !
- — Cam... Camélia. Tu dois partir. Je ne veux pas te... Je ne veux pas qu’il te fasse du mal. Je… je ne veux pas… Je m’excuse, mais… il est trop fort. »

- Ses yeux roulèrent vers l'arrière. Il fut pris d’un spasme effrayant, la douleur se lisant parfaitement sur les traits de son visage ridé. Sa peau pris une couleur de charbon, puis des plumes de la même teinte poussèrent subitement, couvrant alors son dos et ses bras. Des larmes coulaient encore le long de son nez quand celui-ci s’allongea pour rejoindre ses lèvres devenues tranchantes. Un bec tout aussi noir que son plumage déformait son visage, le rendant méconnaissable. Pour Camélia, terrorisée, le pire ne fut pas la transformation monstrueuse du corps de son Papi, mais la lueur d’aliénation qui animait maintenant ses profonds yeux noirs. Sans hésitation, l'immense Corbeau déploya les ailes. Il se lança d'un bond vers la petite, ne laissant aucun doute sur le sort qu’il lui réservait.
- — « Papi, minauda-t-elle, clouée sur place, les mains tremblantes. Papi, je… t’aime quand même… Je... JE SAIS QUE CE N’EST PAS TOI ! »

- Elle avait fermé les yeux en criant cela, sont avenir était scellé. Mais à ces mots, Camélia expulsa de chaque parcelle de sa peau, une énergie soudaine et incroyable. Une sorte de bourrasque formidable. Cette magie propulsa la noire créature sur un solide chêne, et un craquement sonore se fit entendre. Choquée de ce qu’elle venait de produire, elle s’affala sur les genoux, complètement épuisée.

- Ce n’était plus Le Corbeau qui était étendu sur le sol, mais son grand-père, plus vieux que jamais. Elle se dirigea vers lui et constata avec effroi que sa colonne vertébrale n’était plus droite, mais avait maintenant la forme d’un horrible serpentin. Pourtant, une faible respiration subsistait toujours, une volonté de vivre animait toujours le Papi. Camélia pleurait maintenant à chaudes larmes, sans retenue. Elle prit les mains du vieil homme, et dit avec un ton attristé :
- — « Oh… Papi, je suis tellement désolée… j’aurais tant voulue, tant voulue que ça n’arrive jamais… Je voudrais pouvoir refaire de cette magie pour te sauver… »

- Puis, de ses mains s'évada une délicate brume. L’ancêtre rendit l’âme et s’évapora dans le frima. Lorsque l’air devint moins opaque, elle aperçut une jolie créature ailée qui virevoltait maladroitement, toute petite. Elle avait un long corps élancé, et de grandes ailes rondes et colorées. À la surprise de Camélia, elle volait, mais de façon distordue et maladroite, comme si elle était blessée. Camélia venait de découvrir quelque chose, et c’est avec candeur enfantine qu’elle s’exclama :
- — « Oh ! Est-ce toi Papi ? Tu es tout petit maintenant. Je n’avais jamais vu quelque chose comme toi avant. Alors… tu seras un Papillon, veux-tu ? »